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Enseignement musical au Maroc : Entretien avec Mohammed Benderraz, inspecteur d'enseignement artistique (non voyant)

31-12-2009


«Nous avons besoin d'une restructuration profonde»
Il n'y a pas que la situation de la musique qui désole, mais son enseignement aussi.


Le Matin, 31-12-2009

       
    
Le Matin : En tant qu'enseignant, pouvez-vous nous établir l'état des lieux du secteur de l'enseignement musical au Maroc ?

Mohammed Benderraz: L'enseignement musical au Maroc a commencé depuis des décennies, avant même le protectorat. C'était sous le règne du Sultan Mohammed Benabdallah. Malheureusement, cet enseignement ne s'est pas développé et n'a connu aucune modification pour avoir un visage moderne et une structure méthodologique dans les conservatoires afin de répondre aux besoins de nos élèves en matière musicale.

En parallèle à cela, l'infrastructure des conservatoires est vraiment déplorable, vu la rareté de ces établissements qui, quand ils existent dans certaines villes, ne répondent pas au cahier de charges et aux normes internationales.

Certains se trouvent dans un état de délabrement très avancé et d'autres n'ont rien d'un conservatoire, comme celui, par exemple, de Rabat logé dans un immeuble conçu pour habitation. La capitale du Maroc mérite quant même d'avoir un conservatoire digne d'elle. En dehors du côté architectural, la structure musicale et pédagogique, puis les activités à l'intérieur de l'établissement ne répondent pas aux aspirations aussi bien des professeurs que des élèves. Tout est à revoir.

Il faut une restructuration générale de ce secteur. Je crois que le seul conservatoire qui respecte les normes architecturales est celui qui vient d'être terminé à Marrakech. Alors que le reste des conservatoires se trouve soit dans de vieux bâtiments historiques, soit dans des administrations, soit dans une morgue, soit le sous sol d'une l'école des Beaux Arts.

Et pour l'éducation musicale dans les établissements scolaires. Qu'en est-il de ce volet ?

C'est un autre sujet qui va en parallèle. L'éducation musicale n'a pas grand-chose à voir avec l'enseignement musical proprement dit. Sa mission est de sensibiliser les élèves aux différents types d'instruments, leurs sonorités, leurs timbres et quelques notions sur la musique. Mais, ce n'est pas du tout l'enseignement musical comme on l'entend.

Vous avez parlé d'un enseignement musical qui ne s'est jamais développé et modernisé au Maroc. N'avez-vous jamais relevé ce problème avec vos collègues enseignants ?

Comment voulez-vous discuter avec des responsables qui n'ont aucun bagage musical ? Le ministère de la Culture a toujours désigné à la tête de ces directions d'art des gens qui n'ont rien à voir avec la musique. Depuis que je suis rentré de France en 1991, tous les responsables qui se sont succédé à la tête de ces divisions ne se sont jamais intéressés à la restructuration musicale. Quelqu'un qui n'a pas cette compétence n'aura jamais le sentiment de faire quoi que ce soit. Alors que nous avons besoin d'une réforme radicale et solide sur ce plan.

Nous avons revendiqué cela à plusieurs reprises, mais notre requête est restée lettre morte. Le résultat de cette défaillance s'est répercuté sur tout le produit musical, sauf quelques activités sporadiques. Alors que la musique constitue une sorte de jaugeage pour une civilisation. Si elle n'est pas en bonne santé, cela veut dire qu'il y a quelque chose qui ne va pas chez ce peuple.

Il y a, actuellement, un phénomène d'écoles privées qui se multiplient de plus en plus, dont certaines sont très chères pour les bourses de la majorité des citoyens. Qu'apportent-elles pour ce secteur?

Ces écoles, en effet, sont réservées à des élites. Elles ne peuvent pas participer au développement artistique et musical du pays. Normalement, elles doivent représenter la cerise sur le gâteau. Mais, où est-il ce gâteau d'abord qui doit satisfaire la masse marocaine pour laisser, ensuite, la place aux élites de donner cet enseignement à leurs enfants. C'est vrai que ces écoles ont leur rôle à jouer, mais c'est vrai aussi qu'elles sont réservées à des gens qui ont les moyens.

Maintenant, en tant qu'ethnomusicologue, que pensez-vous de la création musicale au Maroc ?

Y a-t-il vraiment une détérioration de la musique et de la chanson marocaines ?

Oui et non. Oui dans la mesure où chaque génération possède un souffle à elle qui diffère de celle qui la précède. Dans chaque pays, la création musicale se compte par décennie, elle peut intervenir dans chaque génération ou être inter génération.

Mais, en général, chaque génération a un penchant, une influence, une attirance et une tendance qui ne ressemblent pas à l'autre génération. Toutefois, il y a toujours un retour à l'antique. Cette nostalgie et ce désir de revenir aux racines et à l'antiquité pour voir ce que faisaient nos aïeux dans ce domaine. On ne peut pas parler d'une détérioration artistique dans la mesure où un peuple ne cessera jamais de produire. Donc, l'homme cherche toujours à se reproduire dans tous les domaines, pas seulement artistique. Il y a toujours une recherche et un savoir-faire, sauf qu'il n'y a pas cette possibilité de se reproduire, il n'y a pas des aides d'appui à la reproduction musicale. Notre problème est que l'artiste marocain travaille seul pour se retrouver le lendemain tout seul. Malheureusement tout son travail ne trouve pas toujours une bonne oreille pour l'écouter. D'un autre côté, il y a ce changement dans la société, il y a un retour à l'antique, une aspiration au futur.

Qu'est-ce qui explique cet état de fait...

Chacun a son écoute particulière. Par exemple, les jeunes ont un penchant vers le Rap, le Métal, la fusion, etc. Toutes ces musiques qui nous sont, malheureusement, importées et n'ont rien de marocain. Même les fusions sont parfois très négatives et ne respectent pas l'équilibre modal entre les deux musiques.

C'est là où c'est grave et entraîne une détérioration du patrimoine musical. Par exemple, la musique andalouse, Al Aita, Ahwach, Ahidous, les Rwaess et toutes les autres musiques berbères sont en pleine détérioration. Il y a des orchestres et groupes qui utilisent des bribes de cette musique populaire pour des finalités très commerciales. Ces musiques ne sont pas à l'abri de ces travaux maléfiques. Et là, je tire la sonnette d'alarme, parce qu'il faut faire très attention car notre patrimoine est en danger. Q'est-ce que c'est qu'un gnaoui avec une guitare électrique, une batterie et une basse. Puis, une « lila » a ses rites et sa connotation sociale et doit se dérouler dans un lieu adéquat pour cette musique, une Zaouiya ou maison traditionnelle qui possèdent une sonorité et une acoustique toute particulière. Je ne suis pas contre la fusion, mais il faut respecter ses règles. On peut s'inspirer des musiques traditionnelles et prendre leur parfum, mais pas les pirater complètement et dire que c'est une création personnelle. Les compositeurs qui font cela ne sont pas des créateurs.
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Une carrière ambitieuse

Né le 31 décembre 1952 à Ouezzane. Mohammed Benderraz a perdu la vue à la première année secondaire. Ce qui l'a poussé à regagner l'école de Casa « Les Amis des Aveugles » où il a poursuivi une année d'enseignement général, de solfège et d'instrument. S'installant par la suite dans la capitale, il a pu intégrer le Conservatoire National de Musique et Danse, soutenu fortement par son directeur à l'époque, feu Abdelwahab Agoumi. « Un grand monsieur qui m'a dicté toutes les prémices de l'art et m'a aidé à monter la pente malgré mon handicap. Il m'a donné une autre vue. Ses conseils et son affection m'ont été d'un grand support dans la vie. J'ai donc poursuivi mes études jusqu'au Prix d'honneur ».

Après avoir décroché son baccalauréat et fait une année de droit, il s'envole vers Paris où il s'inscrit à la Sorbonne afin d'étudier la musicologie. Benderraz termine son troisième cycle et revient au Maroc pour enseigner l'histoire de la musique et l'analyse des œuvres au Conservatoire. Il a, aussi, encadré la première promotion du CPR (Centre Pédagogique de Rabat de l'éducation musicale).

Actuellement, il occupe le poste d'inspecteur d'enseignement artistique au ministère de la Culture et de président fondateur de l'Association Mafatih Annour pour la Musique.

Par Ouafaâ Bennani | LE MATIN

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